Notice sur l’héliographie


Il existe deux versions de ce qu’on appelle communément la Notice sur l’héliographie. La première a été conçue par Nicéphore Niépce en 1827 lors de son séjour en Angleterre afin de promouvoir son invention. La seconde découle quant à elle d’une clause du traité provisoire d’association conclu avec Daguerre le 14 décembre 1829. La principale différence entre ces deux notices est que celle de 1827 ne fait que présenter succinctement l’héliographie et ses possibles améliorations alors que celle de 1829 livre la clef du secret du procédé inventé par Niépce.
 
 
 

La Notice sur l’héliographie de 1827
 
 
La première ébauche d’une notice sur l’héliographie a été rédigée par Nicéphore Niépce à Kew en octobre 1827 alors qu’il tentait de faire parvenir sa découverte « au pié du trône » d’Angleterre :
 
  « Il me vint alors dans l'idée qu'il serait possible que je ne fusse pas admis à présenter moi-même mes essais, et qu'à cet effet on employât un intermédiaire ; ce qui me mettrait alors, dans l'impossibilité de répondre verbalement aux objections qui me seraient faites, et d'indiquer les différents perfectionnements dont ma découverte naissante est susceptible. Je rédigeai en conséquence, une note qui répondait à tout, en peu de mots, et que je crus propre surtout, à prêter un degré de plus à l'objet de ma demande (…) Nous fîmes (…) un paquet des cadres et des planches gravées, que j'adressai avec ma note, sous forme de lettre, à M. Aiton ; et le tout est parti mercredi pour Windsor. »
 
 (Lettre de Nicéphore à Isidore Niépce, 5 novembre 1827, document original perdu).
 
 

La lettre en question est la suivante :
 
 

. Kew, le 31 8bre 1827
 
 
 Wm T Aiton, Esqr.
 
 Monsieur,
 
 
 Comme il serait possible que je n’eusse pas l’honneur d’être admis aux piés de sa Majesté, pour y déposer l’humble hommage de mes recherches Héliographiques ; et que par suite, je me trouverais hors d’état de répondre verbalement aux questions qui pourraient m’être faites ; permettez-moi de vous soumettre quelques observations à ce sujet.
 
 . Je ne me dissimule point les objections que provoquera l’examen critique de mon travail ; aussi commencerai-je par réclamer toute l’indulgence qu’il mérite, en priant de considérer que ma découverte ne fait encore que de naître et que j’eusse obtenu, sans doute, de meilleurs résultats, si mon départ précipité pour l’Angleterre ne m’avait empêché de suivre l’objet de mes recherches. cette circonstance imprévue était fâcheuse pour moi sous bien des rapports ; mais elle m’offrait heureusement la consolante perspective de voir exaucer plus-tôt un voeu que j’avais formé dès le principe et dont vous avez bien voulu, Monsieur, être le premier dépositaire.
 
 . Mes épreuves encadrées faites sur étain paraitront sans doute trop faibles de ton, ce qui provient de ce que les jours ne contrastent pas assez avec les ombres résultant de la réflexion du métal. On rémédierait à cette défectuosité en recevant l’image des objets sur de l’argent plaqué, bien poli. Il y aurait alors plus d’opposition entre le blanc et le noir ; et cette dernière couleur, rendue plus intense au moyen de quelque agent chimique, perdrait ce reflet Brillant qui contrarie la vision et produit même une sorte de disparate.
 
 . Je présume que mes essais de gravure quant à la profondeur et à la pureté du trait laisseront aussi beaucoup à désirer. Toutefois on sera peut-être moins étonné que je n’aie pas mieux réussi de prime abord, vû l’insuffisance de mes ressources dans un art dont la théorie et la pratique me sont peu familieres. Il est certain qu’avec un bon vernis et un acide plus concentré, j’aurais pu donner plus de creux à mes gravures, sans craindre de nuire aux parties qui veulent être ménagées. Je dois faire remarquer ici que mon procédé peut s’appliquer sur cuivre comme sur étain ; et qu’il pourrait l’être avec encore plus d’avantage sur verre, en employant l’acide fluorique. Il suffirait de noircir légèrement la partie gravée, et la placer sur un papier blanc pour obtenir une épreuve vigoureuse. Mr Daguerre, peintre, administrateur du Diorama à Paris, m’a conseillé de ne pas négliger ce mode particulier d’application, qu’il regarde comme éminemment propre à rendre toutes les finesses de la Nature.
 
 . Telles sont, dans l’état actuel de ma Découverte, les améliorations dont elle me paraît susceptible. Les plus importantes tiennent surtout à l’efficacité des moyens que fournit l’optique à l’aide du Mégascope et de la chambre noire ; mais ces divers perfectionnemens m’eussent entrainé dans des dépenses que ni le tems ni ma position ne me permettaient de sacrifier prématurément.
 
 . Si vous croyez, Monsieur, que ces détails puissent présenter quelque intérèt ou m’être de quelque utilité, veuillez, je vous prie, en donner communication : vous obligerez infiniment celui qui a l’honneur d’être avec autant de respect que de considération,
 
 . Monsieur, &c, &c.
 
 (Lettre de Nicéphore Niépce à William T. Aiton, 31 octobre 1827, ASR)
 

 Télécharger la transcription de la lettre

Dans les premiers jours de novembre 1827, sur les conseils de Francis Bauer, Nicéphore Niépce rédigea (à partir de sa « note sous forme de lettre ») une véritable « notice » destinée à présenter le principe de son invention :
  
 « Mes essais qui se trouvaient à Windsor depuis quelques jours, y sont restés jusqu’à dimanche passé. J’ignore si le Roi les a vu, il ne m’a pas été possible de m’en assurer (…) Dans l’intervalle j’avais adressé à Mr Aiton la (…) note dont je t’ai parlé et il me fit dire dimanche soir que je n’avais rien de mieux à faire que d’écrire à Mr Bouer [sic], académicien, qui se trouvait à Kew (…) Mr Bouer (…) nous a dit (…) qu’il était lié d’amitié avec le vice-président de la Société royale et (…) qu’il m’engageait à rédiger une petite notice sur ce sujet et qu’il se chargerait de la lui présenter (…) J’avais eu la bonne idée de rédiger la petite notice en question : elle est toute prête et je n’ai plus qu’à la copier. »
 
 (Lettre de Nicéphore à Isidore Niépce, 21 novembre 1827, ASR).
 
 
 On ne conserve pas de copie de cette version intermédiaire de la Notice sur l’héliographie que l’inventeur présenta en ces termes à Francis Bauer :
 
 « J’ai l’honneur de vous adresser ma petite Notice sur les recherches qui m’occupent. Elle n’aura pas l’inconvénient de fatiguer par sa longueur ; mais je ne sais si elle remplira bien son objet. Il m’eût été pourtant difficile de m’expliquer d’une manière satisfaisante sur certains détails, sans compromettre mon secrèt : j’ai donc dû me borner à quelques considérations relatives aux perfectionnemens que réclament mes timides essais aux yeux de la critique même la plus indulgente. Si cependant, Monsieur, vous en jugiez autrement, j’ose compter assez sur votre bienveillant intérèt, pour vous prier de me faire connaître votre opinion à cet égard, et je m’y conformerai. Je désire vivement que ma découverte mérite de fixer l’attention de la Société royale. »
 
 (Lettre de Nicéphore Niépce à Francis Bauer, 22 novembre 1827, ASR).
 
 

La notice envoyée le 22 novembre à Francis Bauer fut à son tour remaniée pour donner naissance à la version définitive de la Notice sur l’héliographie de 1827 (ou « Notice de Kew »). Rédigée le 8 décembre, elle était destinée à être lue à la Société Royale de Londres :

* j’ai cru pouvoir donner ce nom à l’objet de mes recherches, en attendant une dénomination plus exacte.
  
  
* Heliographie. Dessins & Gravures
  
Notice sur quelques résultats obtenus spontanément par l’action de la lumière.
  
  
Les essais que j’ai l’honneur de présenter sont les premiers résultats de mes longues recherches sur la maniere de fixer l’image des objets par l’action de la lumiere et de la reproduire par l’impression à l’aide des procédés connus de la gravure.
  
Je m’occupais de ces recherches, lorsqu’une circonstance assez récente a précipité mon depart pour l’Angleterre ; ce qui m’a empêché de les continuer et de parvenir à des resultats plus satisfaisans ; je désire donc que l’on juge bien moins ces premiers essais sous le rapport des arts que d’après les moyens présumés qui concourent à la production de l’effet ; car c’est de l’efficacité de ces moyens que depend une complette réussite ; j’oserai réclamer en même tems pour mon travail une indulgence qu’on sera plus disposé peut-être à lui accorder, si on ne le considere que comme la trace d’un premier pas hazardé dans une carrière toute nouvelle.
  
On trouvera sans doute mes dessins encadrés faits sur étain trop faibles de ton. Cette défectuosité provient principalement de ce que les jours ne contrastent point assez avec les ombres résultant de la reflexion métallique. Il serait aisé d’y remédier en donnant plus de blancheur et plus d’éclat aux parties qui représentent les éffets de lumiere ; et en recevant les impressions de ce fluide sur de l’argent plaqué, bien poli et bruni ; car alors l’opposition entre le blanc et le noir serait d’autant plus tranchée ; et cette dernière couleur, rendue plus intense au moyen de quelque agent chimique, perdrait ce reflet brillant qui contrarie la vision et produit même une sorte de disparate.
  
Mes essais de gravure laisseront encore plus à désirer quand à la pureté du trait et à la profondeur des tailles ; aussi ne me suis-je décidé à les présenter que pour constater cette importante application de mes procédés, et la possibilité de l’ameliorer ; les obstacles que j’ai eu à surmonter tenaient moins effectivement à la nature de ces procédés qu’à l’insuffisance de mes ressources dans un art dont la pratique m’est peu familière. Il n’est pas inutile d’observer que cette même application peut avoir lieu sur cuivre comme sur etain ; je l’ai essayée plusieurs fois sur pierre, avec succès, et je suis porté à croire que le verre serait peut-être préférable ; il suffirait, apres avoir opéré, de noircir légèrement la partie gravée, et de la placer sur un papier blanc, pour obtenir une épreuve vigoureuse. Mr Daguerre, peintre du Diorama, à Paris, m’a conseillé de ne pas negliger ce mode d’application qui n’aurait pas, il est vrai, l’avantage de multiplier les produits ; mais qu’il regarde comme éminemment propre à rendre toutes les finesses de la nature.
  
Parmi les principaux moyens, d’amelioration ; ceux que fournit l’optique doivent être mis au premier rang. J’ai encore été privé de cette ressource dans un ou deux essais de points de vue à l’aide de la chambre noire, quelque effort que j’aie fait pour y suppléer par des combinaisons particulieres ; ce n’est pourtant qu’avec cette sorte d’appareil perfectionné autant qu’il peut l’être que l’on peut se procurer une fidele image de la nature et parvenir à la fixer convenablement. Je regrette de ne pouvoir m’expliquer sur d’autres améliorations plus étroitement liées au principe de ma découverte et, sous ce rapport, plus dignes de quelque intérèt : je m’abstiendrai donc d’en parler, bien convaincu d’ailleurs que cette explication n’est pas rigoureusement indispensable pour motiver une opinion quelconque sur l’objet dont il s’agit.
  
Je m’étais proposé un problème important pour les arts du dessin et de la gravure. Si je n’ai pu reunir encore les données necessaires à sa pleine et entière solution, j’ai du moins indiqué celles qui dans l’état actuel de mes recherches peuvent y contribuer plus éfficacement, quoique elles ne soient que secondaires. on conviendra que la difficulté était essentiellement dans la démonstration du fait principal ; et cette difficulté vaincu me semble d’un heureux augure pour les resultats subsequens que j’ai lieu d’espérer, lorsque je pourrai disposer des moyens d’execution qui m’ont manqué jusqu’ici.
  
Je ne parlerai point des avantages que promet ma decouverte par suite des diverses applications dont elle est susceptible. Il me suffira de la signaler comme un objet piquant par l’attrait de la nouveauté, pour la recommander peut-être à l’attention des curieux. Je crois devoir déclarer formellement que je suis l’auteur de cette Découverte, que je n’en ai confié le secret à personne, et que c’est la première fois que je lui donne de la publicité. Je me félicite de la faire paraître, dans un pays aussi justement renommé par son goût pour la culture des Arts, que par l’accueil et la protection qu’y reçoivent les talens.
  
 Kew, le 8 Decembre 1827
  
 N. Niépce
  
  
  
  De châlon sur Saône, rue de l’Oratoire. Departement de Saône & Loire
  
  (Nicéphore Niépce – Notice sur l’héliographie, 8 décembre 1827, ASR).
  
  

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La Notice sur l'héliographie de 1829

À l’automne 1829, Nicéphore Niépce entreprit la rédaction d’un ouvrage destiné à présenter son invention et à dresser l’historique de ses recherches. Les documents relatifs à ce projet ne sont pas datés. On peut néanmoins situer leur réalisation en septembre 1829 car, d’une part, Niépce y évoque son utilisation toute récente de l’iode et, d’autre part, ces manuscrits ne peuvent avoir été conçus après novembre 1829, époque de la mise en place du traité provisoire d’association avec Daguerre qui stipulait que le secret devait être gardé sur l’invention jusqu’à son perfectionnement et sa divulgation. Ce projet d’ouvrage fut donc rapidement abandonné et seule une « Introduction » fut rédigée :
 
 

Introduction
 
 
Je désigne sous le nom d’héliographie, la découverte qui fait l’objet de cet ouvrage. Elle est due à l’observation d’un phénomène de la lumière presqu’inapperçu jusqu’ici. Elle est le fruit de plusieurs années de recherches sur la solution d’une question également intéressante et curieuse qui en dérive, celle de trouver dans les émanations du fluide lumineux un agent susceptible d’empreindre d’une manière exacte et durable les images transmises par les procédés de l’optique ; de les empreindre, je ne dis pas avec l’éclat et la diversité de leurs couleurs, mais avec toutes les dégradations de teintes du noir au blanc. Je pense, en effet, que s’il n’est pas impossible de découvrir, à l’aide de combinaisons chimiques, une substance phosphorescente qui jouisse de la singulière propriété de retenir les rayons colorés du prisme, il serait bien difficile de se procurer de la sorte une empreinte qui ne s’altérât pas promptement.
 
Je me propose toute fois, de hazarder là-dessus quelques idées à la fin de cet écrit mais loin de prétendre au brillant résultat qu’elles semblent présager, il me suffirait d’avoir pu atteindre le but que je m’étais proposé, et je ne me flatte point d’y être entièrement parvenu aussi heureusement que je l’eûsse désiré : deux raisons m’en ont empêché.
 
D’abord il a fallu m’occuper dès le principe à chercher parmi les substances des trois règnes celle qui pouvait le mieux remplir mon objet, ce qui m’a engagé sur chacune d’elles dans une foule d’expériences préliminaires qui m’ont fait perdre beaucoup de temps. Ensuite, j’avais à surmonter des difficultés de plus d’un genre, difficultés du côté de la manipulation qui, ne pouvant s’acquérir que par un usage habituel, expose à bien des méprises et occasionne parfois d’étranges anomalies dans les résultats. difficultés surtout du côté des moyens qui concourent plus ou moins directement à la production de l’effet principal ; effet magique dont la cause insaisissable échappe comme un prothée à la sagacité de l’observateur le plus attentif.
 
Si j’ose donc recommander à l’indulgence du public le fruit prématuré de mes recherches, ce n’est qu’en les signalant comme un objet du moins piquant par l’attrait de la nouveauté et dans l’espoir que je ne réclamerai pas en vain l’utile appui de tant de personnes plus capables que moi d’en assurer la réussite. Qu’il me soit permis d’ajouter que j’ai pu d’ailleurs y être incité par les encouragemens que des artistes distingués de la Capitale et plusieurs membres de la Société Royale de Londres ont bien voulu m’accorder.
 
L’ouvrage que j’entreprends devant être le simple récit des faits que l’observation et l’expérience m’ont mis à portée de recueillir : l’ordre que je dois suivre dans la distribution des matières et les bornes qui me sont prescrites se trouvent naturellement déterminés.
 
Ainsi, je parlerai d’abord, des propriétés chimiques de la lumière dans son état de composition ; mais, pour les envisager sous le rapport qui les lie plus étroitement à mon sujet, je les caractériserai d’après les modifications sensibles qu’elles opèrent dans les corps et je les distinguerai par le nom de propriété colorante, propriété décolorante et propriété solidifiante de la lumière.
 
Je passerai ensuite à l’examen expérimental de ces trois sortes de propriétés dont la dernière m’a fourni, dans ses effets remarquables, la solution du problème que je m’étais proposé ; et qui fixera désormais toute mon attention. Je terminerai ce paragraphe en rapportant d’une manière circonstanciée ce qui tient aux procédés pratiques, c’est-à-dire à la manipulation.
 
Ramené, dans le paragraphe suivant, à d’autres phénomènes de la lumière je me livrerai à quelques considérations sur ceux qu’elle manifeste lorsque décomposée par le prisme, elle déploie ses plus riches couleurs. Je ferai connaître les différentes hypothèses auxquelles ils ont donné lieu ; la discordance qui existe entre elles quand à la nature du principe d’action attribuée à chacun des rayons prismatiques, discordance qui laisse ainsi la carrière libre aux opinions. J’en profiterai pour émettre les miennes et je les appuierai par des expériences comparatives faites à la lumière diffuse et dans l’intérieur de la chambre noire.
 
Le troisième et dernier paragraphe comprendra sous le titre d’applications de l’héliographie : 1° la manière de l’appliquer sur cuivre, à la gravure ; 2° sur doublé d’argent, au dessin ; 3° et deux procédés d’application sur verre : l’un où l’empreinte de l’image vue par transmission reproduit les illusions du Diorama, et l’autre où cette empreinte vue par réflexion semble affecter certaines couleurs locales. C’est l’observation de cet effet et les inductions que j’en ai tirées qui m’ont fait croire à la possibilité de le rattacher, sans beaucoup d’effort, à la théorie de Newton sur le phénomène des anneaux colorés. Au reste, mes idées à cet égard là n’étant que de simples conjectures, je les présenterai avec toute la réserve qu’éxige une matière aussi délicate et toute la défiance que doit m’inspirer le sentiment de mes propres forces.
 
(Nicéphore Niépce – Projet d’ouvrage sur l’héliographie 1/2, [Septembre 1829], ASR).
 
 
 Télécharger le projet d’ouvrage sur l’héliographie 

Les différentes « Division[s] de l’ouvrage » imaginées par l’inventeur sont également connues :

Télécharger la transcription du projet de division de l'ouvrage

 

Le 14 décembre 1829, à Chalon-sur-Saône, Nicéphore Niépce et Louis Jacques Mandé Daguerre signèrent les bases d’un traité provisoire d’association :

« Mr Niépce, désirant fixer par un moyen nouveau sans avoir recours à un dessinateur, les vues qu’offre la nature, a fait des recherches à ce sujet ; de nombreux éssais, constatant cette découverte, en ont été le résultat. Cette découverte consiste dans la reproduction spontanée des images reçues dans la chambre noire. Mr Daguèrre auquel il a fait part de sa découverte, en ayant apprécié tout l’intérèt, d’autant mieux qu’elle est susceptible d’un grand perfectionnement, offre à Mr Niépce de s’adjoindre à lui, pour parvenir à ce perfectionnement, et de s’associer pour retirer tous les avantages possibles de ce nouveau genre d’industrie (…) Il y aura entre Messieurs Niépce et Daguèrre société, sous la raison de commerce Niépce et Daguerre, pour coopérer au perfectionnement de la dite découverte, inventée par Mr Niépce, et perfectionnée par Mr Daguerre. »
 
 (Bases du traité provisoire d’association Niépce – Daguerre, 14 décembre 1829, ASR).
 
 
 
 L’une des principales clauses de ce contrat était la remise par Niépce d’un document révélant le secret de son procédé à son nouvel associé :
 
 « Aussitôt après la signature du présent traité, Mr Niépce devra confier à Mr Daguerre, sous le sceau du secrét qui devra être conservé à peine de tous dépens, dommages et intérèts, le principe sur lequel repose sa découverte, et lui fournir les documents les plus exacts et les plus circonstanciés sur la nature, l’emploi, et les différents modes d’applications des procédés qui s’y rattachent, afin de mettre par là plus d’ensemble et de célérité dans les recherches et les expériences dirigées vers le but du perfectionnement et de l’utilisation de la découverte »
 
 (Bases du traité provisoire d’association Niépce – Daguerre, 14 décembre 1829, ASR).
 
 
 C’est ainsi que le 24 novembre 1829, en prévision de la signature du traité d’association, Nicéphore Niépce avait rédigé une ultime version de sa Notice sur l’héliographie.
 
 Dans ce document, il révèle pour la première fois son secret de manière complète et nomme la substance photosensible qu’il utilise (le bitume de Judée). Il en décrit l’utilisation et détaille toutes les étapes à suivre pour obtenir une image par la simple action de la lumière. Il s’agit d’un exposé court et concis qui vise à guider ceux qui voudraient s’essayer à l’héliographie et qui témoigne de la parfaite compréhension des phénomènes photochimiques observés et de la grande maîtrise du procédé que possédait l’inventeur :

. Notice sur l’héliographie .
 
 _______________________
 
 
 
 . La découverte que j’ai faite et que je désigne sous le nom d’héliographie, consiste à reproduire spontanément, par l’action de la lumière, avec les dégradations de teintes du noir au blanc, les images reçues dans la chambre obscure.
 
 
 
 . Principe fondamental de cette découverte.
 
 . La lumiere, dans son état de composition et de décomposition, agit chimiquement sur les corps. Elle est absorbée, elle se combine avec eux, et leur communique de nouvelles propriétés. Ainsi, elle augmente la consistance naturelle de quelques-uns de ces corps ; elle les solidifie même, et les rend plus ou moins insolubles suivant la durée <ou> l’intensité de son action. Tel est, en peu de mots, le principe de la découverte.
 
 
 
 . Matiere premiere. préparation.
 
 . La substance, ou matiere premiere, que j’emploie ; celle qui m’a le mieux réussi, et qui concourt plus immédiatement, à la production de l’éffet, est l’asphalte ou bitume de Judée préparé de la maniere suivante.
 
 . Je remplis à moitié, un verre, de ce Bitume pulvérisé. Je verse dessus, goutte à goutte, de l’huile essencielle de lavande jusqu’à ceque le bitume n’en absorbe plus, et qu’il en soit seulement bien pénétré. J’ajoute ensuite, assez de cette huile essencielle pour qu’elle surnage de trois lignes environ, au dessus du mélange qu’il faut couvrir et abandonner à une douce chaleur, jusqu’à ceque l’essence ajoutée soit saturée de la matiere colorante du Bitume. Si ce vernis n’a pas le degré de consistance nécessaire, on le laisse évaporer à l’air libre, dans une capsule, en le garantissant de l’humidité qui l’altère et finit par le décomposer. Cet inconvénient est surtout à craindre dans cette saison froide et humide, pour les expériences faites dans la chambre noire. Une petite quantité de ce vernis appliquée à froid, avec un tampon de peau très-douce, sur une planche d’argent plaqué bien poli, lui donne une belle couleur de vermeil, et s’y étend en couche très-mince et très égale. on place ensuite la planche sur un fer chaud, recouvert de quelques doubles de papier dont on enlève ainsi, préalablement, toute l’humidité ; et, lorsque le vernis ne poisse plus, on retire la planche pour la laisser réfroidir et finir de sécher à une température douce, à l’abri du contact d’un air humide. Je ne dois pas oublier de faire observer, à ce sujet, que c’est principalement, en appliquant le vernis, que cette précaution est indispensable. dans ce cas, un disque léger, au centre du quel est fixée une courte tige que l’on tient à la bouche, suffit pour arrêter et condenser l’humidité de la respiration.
 
 . La planche ainsi préparée, peut être immédiatement soumise aux impressions du fluide lumineux ; mais même après y avoir été exposée assez de temps pour que l’effet ait <eu> lieu, rien n’indique qu’il existe réellement ; car l’empreinte reste inapperçue. il s’agit donc de la dégager, et l’on n’y parvient qu’à l’aide d’un dissolvant.
 
 
 
 . Du dissolvant. maniere de le préparer.
 
 . Comme ce dissolvant doit être approprié au résultat que l’on veut obtenir, il est difficile de fixer avec exactitude, les proportions de sa composition ; mais, toutes choses égales d’ailleurs, il vaut mieux qu’il soit trop faible que trop fort. celui que j’emploie de préférence, est composé d’une partie, non pas en poids, mais en volume, d’huile essencielle de lavande, sur six parties, même mesure, d’huile de pétrole blanche. le mélange, qui devient d’abord laiteux, s’éclaircit parfaitement, au bout de deux ou trois jours. ce composé peut servir plusieurs fois de suite. il ne perd sa propriété dissolvante que lorsqu’il approche du terme de saturation ; ce que l’on reconnait parcequ’il devient opaque et d’une couleur très-foncée ; mais on peut le distiller et le rendre aussi bon qu’auparavant.
 
 . La plaque ou planche vernie, étant retirée de la chambre obscure, on verse dans un vase de fer-blanc d’un pouce de profondeur, plus long et plus large que la plaque, une quantité de dissolvant assez considérable pour que la plaque en soit totalement recouverte. on la plonge dans le liquide, et en la regardant, sous un certain angle, dans un faux jour, on voit l’empreinte apparaître et se découvrir peu à peu, quoique encore voilée par l’huile qui surnage, plus ou moins saturée de vernis. on enlève alors la plaque, et on la pose verticalement pour laisser bien égoutter le dissolvant. quand il ne s’en échappe plus, on procède à la derniere opération qui n’est pas la moins importante.
 
 
 
 . Du lavage. maniere d’y procéder.
 
 . Il suffit d’avoir pour cela, un appareil fort simple, composé d’une planche de quatre piés de long et plus large que la plaque. cette planche est garnie, sur champ, dans sa longueur, de deux litteaux bien joints, faisant une saillie de deux pouces. Elle est fixée à un support, par son extrémité supérieure, à l’aide de charnieres qui permettent de l’incliner à volonté, pour donner à l’eau que l’on verse, le degré de vitesse nécessaire. l’extrémité inférieure de la planche, aboutit dans un vase destiné à recevoir le liquide qui s’écoule.
 
 . On place la plaque sur cette planche inclinée. on l’empêche de glisser en l’appuyant contre deux petits crampons qui ne doivent pas dépasser l’épaisseur de la plaque. il faut avoir soin, dans cette saison-ci, de se servir d’eau tiède. on ne la verse pas sur la plaque, mais au-dessus, afin qu’en y arrivant, elle fasse nappe, et enlève les dernieres portions d’huile adhérente au vernis.
 
 . C’est alors que l’empreinte se trouve complettement dégagée, et partout d’une grande netteté, si l’opération a été bien faite, et surtout, si on a pu disposer d’une chambre noire perfectionnée.
 
 . Applications des procédés héliographiques.
 
 . Le vernis employé, pouvant s’appliquer indifféremment, sur pierre, sur métal et sur verre, sans rien changer à la manipulation ; je ne m’arrêterai qu’au mode d’application sur argent plaqué et sur verre, en faisant toute fois remarquer, quant à la Gravure sur cuivre, que l’on peut, sans inconvénient, ajouter à la composition du vernis, une petite quantité de cire dissoute dans l’huile essencielle de lavande.
 
 . Jusqu’ici, l’argent plaqué me parait être cequ’il y a de mieux pour la reproduction des images, à cause de sa blancheur et de son éclat. <Une chose certaine,> c’est <qu’>après le lavage, pourvu que l’empreinte soit bien sèche, le résultat obtenu est déjà satisfaisant. Il serait, pourtant, à désirer que l’on pût, en noircissant la planche, se procurer toutes les dégradations de teintes du noir au blanc : je me suis donc occupé de cet objet, en me servant d’abord de sulphure de potasse liquide ; mais il attaque le vernis, quand il est concentré et si on l’allonge d’eau, il ne fait que rougir le métal. Ce double inconvénient m’a forcé d’y renoncer. La substance que j’emploie maintenant, avec plus d’espoir de succès, est l’iode qui a la propriété de se vaporiser à la température de l’air. pour noircir la planche par ce procédé, il ne s’agit que de la dresser contre une des parrois intérieures d’une boîte ouverte dans le dessus, et de placer quelques grains d’iode dans une petite rainure pratiquée, le long du côté opposé, dans le fond de la boîte. On la couvre ensuite d’un verre pour juger de l’éffet qui s’opère moins vite, mais bien plus sûrement.
 
 . On peut alors, enlever le vernis avec l’alcool, et il ne reste plus aucune trace de l’empreinte primitive. comme ce procédé est encore tout nouveau pour moi, je me bornerai à cette simple indication, en attendant que l’expérience m’ait mis à portée de recueillir là dessus, des détails plus circonstanciés.
 
 . Deux essais de points de vue, sur verre, pris dans la chambre obscure, m’ont offert des résultats qui, bien que défectueux, me semblent devoir être rapportés, parce que ce genre d’application peut se perfectionner plus aisément, et devenir par la suite, d’un intérèt tout particulier.
 
 . Dans l’un de ces essais, la lumiere ayant agi avec moins d’intensité a découvert le vernis de maniere à rendre les dégradations de teintes beaucoup mieux senties ; de sorte que l’empreinte, vue par transmission, reproduit jusqu’à un certain point, les éffets connus du Diorama.
 
 . Dans l’autre essai, au contraire, où l’action du fluide lumineux a été plus intense, les parties les plus éclairées n’ayant pas été attaquées par le dissolvant, sont restées transparentes ; et la différence des teintes résulte uniquement, de l’épaisseur relative des couches plus ou moins opaques du vernis. Si l’empreinte est vue par réflexion, dans un miroir, du côté verni, et sous un angle déterminé, elle produit beaucoup d’éffet, tandis que vue par transmission, elle ne présente qu’une image confuse et <incolore> ; et ce qu’il y a d’étonnant, c’est qu’elle parait affecter les couleurs locales de certains objets. En méditant sur ce fait remarquable, j’ai cru pouvoir en tirer des inductions qui permettraient de le rattacher à la théorie de Newton, sur le phénomène des anneaux colorés. il suffirait pour cela, de supposer que tel rayon prismatique, le rayon vert, par exemple, en agissant sur la substance du vernis, et en se combinant avec elle, lui donne le degré de solubilité nécessaire, pour que la couche qui en résulte après la double opération du dissolvant et du lavage, réfléchisse la couleur verte. Au reste, c’est à l’observation seule, à constater ce qu’il <y a> de vrai dans cette hypothèse ; et la chose me semble assez intéressante par elle-même, pour provoquer de nouvelles recherches, et donner lieu à un examen plus approfondi.
 
 
 
 . Observations.
 
 . Quoiqu’il n’y ait, sans doute, rien de difficile dans l’emploi des moyens d’exécution que je viens de rapporter, il pourrait se faire, toutefois, qu’on ne réussit pas complètement, de prime abord. je pense donc, qu’il serait à propos d’opérer en petit, en copiant des gravures à la lumiere diffuse, d’après la préparation fort simple que voici.
 
 . On vernisse la gravure seulement du côté verso, de manière à la rendre bien transparente. quand elle est parfaitement sèche, on l’applique du côté recto, sur la planche vernie, à l’aide d’un verre dont on diminue la pression en inclinant la planche sous un angle de 45 degrés. on peut, de la sorte, avec deux gravures ainsi préparées, et quatre petites plaques de doublé d’argent, faire plusieurs expériences dans <La journée>, <même> par un temps sombre, pourvu que le local soit à l’abri du froid et <surtout> de l’humidité, qui, je le répète, détériore le vernis à un tel point, qu’il se détache par <couches> de la planche, quand on la plonge dans le dissolvant. c’est ce qui m’empêche de me servir de la chambre noire durant la mauvaise saison. En multipliant les expériences dont je viens de parler, on sera bientôt, parfaitement au fait de tous les procédés de la manipulation.
 
 . Relativement à la maniere d’appliquer le vernis, je dois rapeller qu’il ne faut l’employer qu’en consistance assez épaisse pour former une couche compacte et aussi mince qu’il est possible, parcequ’il résiste mieux à l’action du dissolvant, et devient d’autant plus sensible aux impressions de la lumiere.
 
 . à l’égard de l’iode, pour noircir les épreuves sur argent plaqué, comme à l’égard de l’acide pour graver sur cuivre, il est essentiel que le vernis, après le lavage, soit tel qu’il est désigné dans le deuxième essai sur verre, rapporté ci-dessus ; car alors, il est bien moins perméable soit à l’acide, soit aux émanations de l’iode, principalement dans les parties où il a conservé toute sa transparence ; et ce n’est qu’à cette condition, que l’on peut, même à l’aide du meilleur appareil d’optique, se flatter de parvenir à une complette réussite.
 
 . fait à Châlon-sur-Saône, le 24 9bre 1829.
 
 ://: J.N. Niépce.
 
 
 . Additions.
 
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 . Quand on ôte la planche vernie pour la faire sécher, il ne faut pas seulement la garantir de l’humidité, mais avoir soin de la mettre à l’abri du contact de la lumiere.
 
 . En parlant des expériences à la lumiere diffuse, je n’ai rien dit de ce genre d’essai fait sur verre. je vais y suppléer afin de rapporter une amélioration qui, dans ce cas-là, lui est particuliere. elle consiste simplement, à placer sous la plaque de verre vernie, un papier noir, et à interposer un cadre de carton entre la plaque et la gravure qui doit être alors collée par ses quatre angles à une autre plaque de verre, pour qu’elle la touche dans toutes ses parties. il résulte de cette disposition que l’image parait bien plus vive sur un fond noir que sur un fond blanc ; ce qui ne peut que contribuer à la promptitude de l’éffet ; et, en second lieu, que le vernis n’est pas exposé à être endommagé par suite du contact immédiat et de la pression de la gravure, comme dans l’autre procédé ; inconvénient qu’il <n’est pas aisé> d’éviter par un temps chaud, le vernis fût-il même <très-> sec.
 
 . Mais cet inconvénient se trouve bien compensé par l’avantage qu’ont les épreuves sur argent plaqué, de résister à l’action du lavage ; cequi ne s’obtient que difficilement avec le verre, substance dont la nature et le poli plus parfait offrent moins d’adhérence au vernis. Il était donc à désirer qu’on pût lui donner plus de mordant, et je crois y être parvenu, autant qu’il m’est permis d’en juger d’après des expériences récentes et encore peu nombreuses. ce nouveau vernis consiste dans une Solution de Bitume de Judée dans l’huile animale de Dippel. On <le> laisse évaporer dans une capsule à la température atmosphérique, jusqu’à cequ’il ait la consistance requise, et appliqué sur verre, il sèche très <vite> à raison de la grande volatilité de l’huile animale. Il est aussi plus coloré, plus gras et plus tenace que l’autre ; et l’on peut, de suite après l’application, <l’exposer> aux impressions de la lumiere qu’il parait même absorber beaucoup plus promptement. Sous ce double rapport, il mérite d’être soumis à de nouvelles expériences.
 
 . fait à Châlon-sur-Saône, le 4 Décembre 1829.
 
 ://: J.N. Niépce
 
 (Nicéphore Niépce – Notice sur l’héliographie, 24 novembre et 4 décembre 1829, ASR).
 
 
 
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 C’est cette version finale de la Notice sur l’héliographie qui a permis aux historiens de comprendre en quoi consistait l’invention de Nicéphore Niépce, quelle était la substance photosensible qu’il employait et de quelle manière il la mettait en œuvre. Ce manuscrit est par conséquent d’une importance majeure car, en livrant le secret du procédé, il a rendu possible toutes les études ultérieures sur l’invention de la photographie. Enfin, la Notice sur l’héliographie reste le plus incontestable témoignage de la réussite des recherches de Nicéphore Niépce sur la lumière et de l’originalité de sa découverte, « trace d’un premier pas hazardé dans une carrière toute nouvelle »